Le Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli

Je termine la lecture d’un magnifique roman, « Le Mage du Kremlin », écrit par le politologue et essayiste italien Giuliano da Empoli. Ce roman, basé sur des faits réels, est très instructif sur le pouvoir en Russie et nous aide à comprendre comment on en est arrivé à cette guerre effroyable en Ukraine. Vadim Baranov, librement inspiré de l’ancien conseiller de Poutine, Vladislav Sourkov, se confie à un jeune étudiant. Passionné de livres et amoureux de la culture occidentale contemporaine, à l’instar de son grand-père à l’époque tsariste, Baranov, le mage du Kremlin, retrace certains événements importants des dernières années et analyse pourquoi « la domination brutale de Poutine fonctionne sur le peuple russe ».

À la fin du communisme, les Russes vivaient dans une sorte de « Far West » démocratique où les oligarques dominaient dans tous les domaines du capitalisme et de la politique. Jusqu’à ce qu’ils comprennent enfin que cette situation ne leur était pas favorable : l’éclatement du pouvoir, la criminalité, les taux de suicide élevés, le désarroi du peuple. « Les Russes avaient une patrie, ils se retrouvent avec un supermarché ». Sans réellement savoir ce qui les attendait, croyant avoir trouvé la marionnette idéale, les oligarques ont donné les clés du pouvoir à un parfait inconnu, Vladimir Poutine, alias le Tsar, dictateur et mégalomane solitaire qui « a une écharde de glace dans le cœur » et qui vit la nuit.

« Le Mage du Kremlin » est un roman réaliste, superbement écrit. C’est un livre dont tu te dis : ah! celui-là est différent! Un livre où la culture domine et dont la fin ne laisse malheureusement aucun espoir. L’auteur écrit : « Grand-père disait que tôt ou tard, quelqu’un devrait ramasser toutes les statues équestres éparpillées dans toutes les villes du monde et les expédier au milieu du désert, dans un camp dédié à tous les massacreurs de l’histoire. » Au mépris des wokes, ces déboulonneurs de statues et censeurs d’histoires, artisans de l’oubli collectif, l’auteur oppose la connaissance et l’analyse des faits. À la fin, il se veut également visionnaire en tentant de démontrer ce qui, pour lui, devient une évidence : l’émergence d’un pouvoir encore plus absolu, celui des robots : « Il faudrait toujours regarder l’origine des choses. Toutes les technologies qui ont fait irruption dans nos vies ces dernières années ont une origine militaire. Les ordinateurs ont été développés pendant la Deuxième Guerre mondiale pour déchiffrer les codes ennemis. Internet comme moyen de communication en cas de guerre nucléaire, le GPS pour localiser les unités de combat, et ainsi de suite. Ce sont toutes des technologies de contrôle conçues pour asservir, pas pour rendre service. Seule une bande de Californiens défoncés au LSD pouvait être assez débile pour imaginer qu’un instrument inventé par des militaires se transformerait en outil d’émancipation. Et ils ont été nombreux à le croire », écrit-il. Mais, sur ce point, il n’apporte aucune analyse.

Cette fin, abrupte et sans concessions, aurait mérité une analyse plus complète et éloignée des dérives actuelles.

À lire pour tout ce que ce roman apporte de clarté à l’histoire que l’on connaît déjà : celle du pouvoir en Russie. Et pour la beauté de la langue.


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